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Services socialement rentables

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Author: 
Boileau, Josée
Format: 
Article
Publication Date: 
19 Jan 2016
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EXCERPTS

L’Association québécoise des centres de la petite enfance tenait lundi des chaînes humaines devant plusieurs CPE du Québec, protestant contre les compressions de 120 millions dont ils sont menacés. Ils cherchent le gras où couper ? Nous aussi ! Les services de garde sont traités comme un besoin non essentiel par ce gouvernement, alors qu’ils sont un acquis social précieux.

À la mi-décembre, une étude de l’Institut de la statistique du Québec dressait un constat des plus troublants : 40 % des poupons et le tiers des enfants de 18 mois à 5 ans avaient droit à « des services considérés comme insatisfaisants » dans les garderies privées non subventionnées. La nouvelle, relayée par Le Devoir, avait suscité la réaction suivante d’une de nos lectrices : «Si le rapport s’était avéré dévastateur pour le réseau des garderies subventionnées, la ministre s’empresserait de dénoncer les pratiques de gestion des responsables des services de garde. »

Mais il n’y a jamais eu de dénonciation, la ministre de la Famille, Francine Charbonneau, ayant même refusé de commenter ce rapport. C’est pourtant le modèle privé que le gouvernement libéral a en tête quand il s’agit de donner des leçons au monde des services de garde. L’avenir de Mme Charbonneau comme ministre a beau être des plus sombres en vue du prévisible remaniement, son départ ne changera pas la philosophie du gouvernement Couillard.

C’est pourqoi les chaînes humaines qu’a commencé à déployer l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) sont nécessaires pour témoigner de l’incompréhension ressentie par plusieurs face aux compressions prévues de 120 millions pour l’année qui vient — qui suivent des coupes qui ont été de la même ampleur en deux ans.

Ces coupes sont d’autant plus odieuses que la ministre n’a jamais corrigé son discours qui laisse entendre que les deux tiers des services de garde subventionnés, publics et privés, ne savent pas gérer. Puisque le tiers des services y arrivent, pourquoi pas la totalité ?

Certes, au début décembre, Mme Charbonneau avait affirmé à La Presse que se modeler sur le « tiers performant » (le « tiers moins cher », disent plutôt les CPE) n’était qu’une hypothèse de travail. Mais l’hypothèse était fort détaillée et c’était elle qui était discutée lors des rencontres entre associations de garderies et ministère sur la réforme du financement.

Cette table de discussions a pris fin le 18 décembre. Elle a depuis été remplacée par des comités de négociation qui touchent des points spécifiques aux garderies publiques ou privées. L’AQCPE, qui représente 70 % des CPE, a décidé de ne pas participer à ces rencontres. Difficile de la blâmer, puisque l’objectif de devoir trouver 120 millions à couper n’a pas changé.

Quand on connaît les CPE, il est pourtant impossible de croire que se cache là un univers de luxe et de gaspillage. Une fois les salaires et le loyer payés, qui représentent 80 % des coûts, la marge de manoeuvre des CPE est des plus minces.

Plusieurs responsables de CPE ont expliqué sur la place publique les coupes auxquelles ils ont déjà procédé et celles auxquelles ils devront se résoudre si on leur en demande davantage. Chez tous, ce qui est en jeu, c’est la qualité des repas offerts aux enfants, l’achat de matériel pédagogique, le temps réservé à la préparation des journées ou des rencontres de parents. Mais s’ajoutent aussi des caractéristiques propres à chaque CPE, comme la durée d’accueil des enfants le matin, la formation des éducatrices ou des postes particuliers, comme celui d’une éducatrice responsable des enfants handicapés.

La ministre a beau dire que les services directs aux enfants ne sont pas touchés, il faut toute une déconstruction mentale pour le croire ! Le squelette du service reste, mais son enveloppe — ce qui fait sa qualité, ce qui explique que le réseau des CPE se distingue depuis sa création en 1997, qu’il soit une fierté pour le Québec, un objet d’étude ailleurs — est tout entière visée par l’obsession gouvernementale pour le plus petit dénominateur commun.

Les CPE ne sont pas une offre commerciale mais un service social, qui permet aux parents d’avoir la paix de l’esprit quand ils y laissent leurs enfants, aux femmes de travailler sans soucis de frais de garde astronomiques, aux petits d’avoir un encadrement pédagogique adapté à leurs besoins, qui ne sont pas ceux de l’école mais qui n’ont rien à voir avec du « gardiennage ». Avec les restrictions qui leur ont été imposées depuis dix ans, chaque nouvelle coupe est comme un coup de couteau dans ce qui était un formidable projet politique, une grande réussite collective. Est-ce si difficile pour les libéraux d’en convenir ?

-reprinted from Le Devoir

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